Référence bibliographique
Lena Matasci, Moniales en chemin, Ethnoscope 21 (2022), Institut d’ethnologie, Neuchâtel, ISBN 978-2-88279-034-7, 125 pages. www.unine.ch/ethno/home/publications/ethnoscope.html
Dans Moniales en chemin, l’anthropologue Lena Matasci nous invite à une immersion dans le quotidien de femmes qui ont choisi le cloître pour donner un sens à leur vie. Fruits de son mémoire de master, ses réflexions portent notamment sur le concept de résonance appliqué au mode de vie monacal.
La vie en apparence très dure que rencontrent ces femmes, caractérisée par la solitude et des pratiques ascétiques, contraste avec l’image idyllique des monastères présentés volontiers comme des oasis de bonheur et d’épanouissement personnel. L’ouvrage explore ce paradoxe en expliquant qu’une vie réussie repose moins sur l’accès aux biens matériels et au monde social qu’à la qualité de la résonance que la personne ressent.
Cette théorie de la résonance a été développée par Hartmut Rosa, philosophe et sociologue contemporain. Elle met en jeu une relation bidirectionnelle entre un sujet et un fragment de monde dans lequel le sujet vibre, métaphoriquement, à sa propre et singulière fréquence. « Il y a de la résonance quand le courant passe entre deux amis et les anime, quand le gâteau parfait semble sourire au pâtissier, quand le ballon fait des tours de magie sous le pied du footballeur », illustre Lena Matasci. Ainsi les prières et le rapport à Dieu dont ces femmes témoignent renvoient à cette vibration métaphorique.
Mais comment est venue l’idée de faire un sujet de master sur les monastères ? « J’ai découvert le milieu monastique pendant mon bachelor, un peu par hasard, à la recherche d’un terrain qui soit pour moi à la fois exotique et tout proche. Je me suis vite aperçue que ce milieu est riche d’un point de vue socio-anthropologique et pourtant assez peu étudié. » Quant à l’attache du sujet au concept de résonance, qui questionne directement la réussite d’une vie, aucun chercheur n’avait encore tenté de sortir de la théorie pour l’appliquer à un projet de recherche en anthropologie, et encore moins dans une enquête sur la vie contemplative.
Pour son enquête, Lena Matasci a côtoyé une trentaine de moniales, dans trois monastères du canton de Fribourg. La recherche s’est étalée sur deux ans environ, avec plusieurs mois d’immersion dans la vie communautaire et une participation active au quotidien contemplatif des religieuses.
Il ressort également de cette recherche que le choix d’une vie recluse n’est pas synonyme de se couper du monde, bien au contraire. « Le monde intéresse ces femmes, elles se font beaucoup de souci pour lui et lui consacrent une bonne partie de leurs prières, note l’anthropologue. Elles disent aussi que malgré l’apparente distance qu’elles semblent afficher, leurs relations avec les gens en dehors de la clôture se sont plus approfondies qu’affaiblies. Si ces femmes ont renoncé à la vie dans la société pour embrasser la clôture c’est pour se mettre dans le cadre qui leur permet au mieux de répondre à leur appel : chercher Dieu, s’approcher de Lui. »
Cette volonté de s’approcher de Dieu se retrouve dans l’expression « en chemin » du titre de l’ouvrage. « Elle renvoie à l’image du pèlerin toujours en marche, métaphore d’une évolution intérieure constante, approfondissement progressif du mouvement vers Dieu, explique Lena Matasci. ‘En chemin’, ça peut aussi être vu comme la variante monastique du ‘développement personnel’, très à la mode aujourd’hui. »